La Seyne sur Mer
La Seyne-sur-Mer : petite histoire raccourcie.
En se détachant de Six-Fours en 1657, La Seyne est érigée en paroisse. À cette époque et depuis le Moyen Âge, l’essentiel du territoire appartient à des structures religieuses comme l’abbaye de Saint-Victor de Marseille dont l’influence est grande dans la région.
Il y a alors environ 1 000 habitants qui se répartissent sur des terres pas toujours très accueillantes, certaines d’entre elles sont marécageuses (de là vient le nom de La Seyne, de sanha en langue d’oc). Les habitants sont alors des pêcheurs, des paysans, mais une tradition artisanale se développe en parallèle.
Le XIXe siècle est une période riche en innovations technologiques pour la France et pour l’Europe de l’Ouest. Le développement de la navigation à vapeur permet d’élargir les horizons commerciaux et d’accroître les échanges, l’amélioration des techniques du travail des métaux ouvre la voie à de nouvelles activités. Sur le littoral méditerranéen, Marseille, La Ciotat et La Seyne sont concernées par ces bouleversements technologiques. Dorénavant la vie à La Seyne va se confondre avec la construction navale et l’industrie métallurgique.
Avec l’essor du steamer, les chantiers navals et les ateliers mécaniques de la région (Marseille-La Ciotat et La Seyne) doivent relever le défi qu’imposent les transformations nécessaires à la conquête des nouveaux marchés. C’est dans ce contexte de « révolution industrielle » et de dynamisme économique porté par le Second Empire que La Seyne va passer de l’artisanat aux constructions métalliques.
En 1844, Philip Taylor, constructeur marseillais d’origine britannique, reprend les chantiers de La Seyne fondés en 1818 par un Américain (Edward Church). En 1853, les entreprises qu’il gère (de Marseille à La Seyne) sont rassemblées au sein de la Compagnie des Forges et Chantiers de la Méditerranée qui deviennent peu après La Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée. À La Seyne, leur implantation a lieu en grande partie dans le quartier de la Lune. Les chantiers s’imposent très vite sous l’impulsion de quelques dirigeants comme Armand Béhic (1809-1891) et l’ingénieur Dupuy de Lôme (1816-1885). Le premier se préoccupe du sort de ses ouvriers, il développe l’association de secours créée par son prédécesseur, il crée un fonds pour les familles des ouvriers tués ou rendus invalides à la suite d’accidents, institue un cours gratuit pour les travailleurs[1]. Le second fut « l’inventeur » du vaisseau de combat à hélice en 1850 et fit construire également le premier navire « cuirassé » en ajoutant des plaques de métal sur la coque en bois. C’est sous son autorité que furent construites toutes les frégates cuirassées du Second Empire[2].
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’essor de La Seyne est lié aux activités de la métallurgie navale. Entre 1880 et 1890, les chantiers occupent 22 ha et emploient 3 000 salariés. La Mairie a été construite sur le port, la ville dépasse les 7 000 habitants, elle est reliée par le chemin de fer à Toulon. Mais en 1865, une épidémie de choléra frappe la ville. Toutefois, il faut attendre 1882 pour assister à la construction du premier réservoir d’eau potable (quartier du Tortel). En 1899, une seconde catastrophe touche la ville avec l’explosion de la poudrière de Lagoubran (100 morts). Cependant l’essor de la cité se poursuit. En 1911, elle compte plus de 19 000 habitants. Le pont basculant assurant la liaison de la gare PLM avec les chantiers est construit en 1917 et 1920.
La Première Guerre mondiale réoriente l’ensemble des productions vers la défense nationale : cargos, docks, avisos, wagons, chars…
Si l’Entre-deux-guerres est une période d’incertitudes où alternent les années d’abondance et de crise, la Seconde Guerre va apporter son lot de souffrances dans une ville marquée à gauche et où la classe ouvrière est importante.
Vichy dissout la municipalité socialiste du Dr Mazen et la remplace en mars 41 par une municipalité nommée, épaulée par la Légion des combattants. Le Pacte germano-soviétique, la dissolution du Parti communiste (septembre 39), du syndicat des Métaux et le choc de la défaite de 1940 provoquent le repli sur soi et une longue période d’atonie chez les ouvriers. Toutefois dès l’automne 40, le parti communiste clandestin tente de se constituer autour de Philippe Giovanini et Ernest Armando, mais des arrestations rapides imposent à nouveau une quasi -disparition de l’organisation. C’est surtout à partir de 1942 que le parti se restructure autour de militants expérimentés comme Georges Monaco par exemple mais aussi avec les instituteurs Marius Autrand et Toussaint Merle. A côté des communistes, le seul mouvement organisé paraît être Libération mis en place fin 42-début 43 autour de Marc Baron et de Pierre Fraysse... En novembre 42, après l’invasion de la zone sud par les Allemands, La Seyne fait partie du camp retranché de Toulon, et les trois navires ancrés dans le port se sabordent. La population aide les marins que les Allemands rassemblent au Fort Napoléon. En 43, le STO (service du travail obligatoire) est mis en place et des jeunes seynois quittent la ville pour y échapper. Certains se retrouvent au maquis FTP des Maures comme Félix Diana dit Lilou ou dans les maquis des Basses - Alpes.
À la fin de l’année 1942, les Chantiers sont passés sous la coupe des occupants. L’autorité allemande maintient leur activité à son seul profit, mais la Résistance ouvrière s’y organise et n’hésite pas à l’affronter par la manifestation et la grève entre novembre 1943 et juillet 1944. Très tôt, la population, comme à Toulon, est confrontée aux pénuries de ravitaillement. Les manifestations d’hostilité aux occupants passent donc par des manifestations de femmes contre les insuffisances du ravitaillement (3 février 42), la distribution de tracts, des sabotages plus ou moins spectaculaires à l’intérieur ou à l’extérieur des Chantiers et les actions de renseignement. La résistance à La Seyne se distingue aussi par le rôle joué par l’action syndicale, là encore le rôle de militants chevronnés comme Louis Michel, André Guibaut a été déterminant. Des actions coordonnées avec les centres de Port de Bouc et La Ciotat sont même organisées. Mais la répression n’est jamais inactive, elle est le fait de l’OVRA, de la police allemande. La ville doit aussi supporter plusieurs bombardements alliés en 1944, le 11 mars, le 29 avril ( 128 morts, la ville est alors sinistrée à 65 %) et encore le 11 juillet où 88 Seynois meurent étouffés dans le tunnel de l’émissaire commun en construction où ils avaient cherché refuge. Enfin, le 17 août, l’occupant fait exploser 195 mines qui détruisent les quais et les installations.Toutefois, la résistance seynoise participe aux combats de la libération malgré le manque d’armes et un faible effectif (143 FTP). Ainsi,les FTP, ont organisé un état –major installé à La Dominante et à l’école Curie. La croix de guerre a été décernée à La Seyne le 11 novembre 1948 avec citation suivante :"La ville de La Seyne, pointe extrême du camp retranché de Toulon, a résisté pendant toute la durée de la guerre aux exigences ennemies.Sa population ouvrière a entravé en permanence par des sabotages et des grèves la production au détriment des forces italiennes et allemandes. Ses organisations de résistance ont fourni de précieux renseignements aux états-majors alliés. »[3]
S’ouvre alors l’époque de la reconstruction. La Seyne va véritablement devenir une grande ville, la seconde du département.
Pour les Chantiers, le redémarrage est rapide avant la crise des années 50. En effet, ils ont bénéficié d’un marché réservé : les commandes de la Marine marchande et celles liées à la remise en état de la flotte de combat. Mais très vite la concurrence internationale apparaît : les Britanniques par exemple, produisent 20 à 30% moins cher. Dorénavant, l’aide de l’Etat est liée à des exigences qui obligent les Chantiers à réduire leurs effectifs, à moderniser les installations …C’est dans ce contexte que les FCM ouvrent des ateliers spécialisés dans la grosse métallurgie pour construire des structures métalliques et des chars d’assaut, ce qui représente 40% de l’activité en 1963. On dresse également des plans pour de nouvelles cales pouvant accepter des méthaniers.
Mais les difficultés sont encore là. À la fin de 1965, les FCM affichent un déficit record. L’avenir est menacé, une première manifestation a lieu à La Seyne le 8 février 1966 pour la défense des Chantiers. Cette manifestation a laissé un souvenir très fort car à côté des responsables politiques, syndicaux, on notait la présence de Mgr Barthe, évêque de Toulon–Fréjus. Cette manifestation précède de quelques jours celle de Marseille (17 février) où convergent les salariés des Chantiers de La Seyne, La Ciotat et Port-de-Bouc.
Mais le 1er juillet 1966, Les FCM disparaissent et laissent la place aux Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM) dirigées par un groupe franco-belge qui bénéficie d’une aide de l’État pour garantir l’emploi sur deux ans et s’installe essentiellement sur le territoire de Brégaillon. Les commandes se multiplient et se diversifient : méthaniers, lance-missiles, escaliers mécaniques…Les chantiers emploient alors 5 300 personnes directement et 2 000 via la sous-traitance.
Mais le premier choc pétrolier et la concurrence des constructeurs japonais et américains remettent tout en question[4]. Comptant sur la poursuite de l’expansion économique, le regroupement des activités de la construction navale est refusé par les directions de La Ciotat et de La Seyne. Or trois ans plus tard la reprise n’est pas au rendez-vous, et c’est le début d’une lente dégradation : réintégration des activités de sous-traitance au sein de l’entreprise, mise en retraite dès 56 ans et huit mois…
En 1982, c’est la fusion des pôles de Dunkerque, La Ciotat et La Seyne au sein de la NORMED (Chantiers du Nord et de la Méditerranée). Mais en 1986, le gouvernement Chirac décide de ne plus soutenir une industrie qui a reçu 13 milliards de francs d’aide depuis 1983. Le 30 juin 1986, la NORMED dépose le bilan.
La ville sort traumatisée économiquement, socialement et psychologiquement de cette période. Cette activité a marqué les esprits et le territoire de la cité. Aujourd’hui, de cette époque, il ne reste que la porte d’entrée des Chantiers qui s’ouvre sur un espace aménagé en promenade.
À partir des années 90, le problème de la reconversion se pose. La nouvelle municipalité dirigée par Charles Scaglia lance le projet MAREPOLIS, une société d’aménagement d’économie mixte (SAEM) doit piloter l’aménagement des 35 ha libérés pour y créer un technopôle de la mer. Un groupe britannique se propose de développer à côté un projet touristique. Cette collaboration échoue après la rupture entre la municipalité et les investisseurs britanniques. La ZAC (zone d’aménagement concertée) est annulée en 1996, la SAEM passée sous tutelle municipale est en cessation de paiement.
Il faut attendre le début des années 2000 pour assister à la réhabilitation d’un site convoité par les promoteurs immobiliers. Pour l’instant, les projets ont été revus à la baisse, si des logements, un port de plaisance, un hôtel, ont été construits, l’espace théâtral est abandonné.
Parallèlement aux activités industrielles la ville n’a cessé de se transformer. Il faut réparer les dommages de la guerre (sur 5902 immeubles, 4310 ont subi des dommages plus ou moins graves), reloger les sinistrés et satisfaire les besoins en logement d’une population qui augmente. Il faut remettre en état, étendre le réseau d’eau. Puis à partir de 1960, La Seyne doit accueillir les rapatriés d’Algérie. La ville est tenue de construire 100 logements. Où construire ?
C’est la municipalité, dirigée par le docteur Sauvet jusqu’en 1947 puis par Toussaint Merle jusqu’en 1969, qui doit résoudre ce problème. Elle lance la Zone Urbaine Prioritaire, il faut aussi s’étendre vers la campagne. C’est sur le territoire de La Chaulane, nom d’un domaine appartenant à l’abbaye de Saint-Victor au Moyen-Âge, et qui s’étendait des Playes jusqu’à Brégaillon, que l’on a aménagé par exemple la cité Berthe. L’hôtel de ville est reconstruit sur le port en 1959, avec une salle des fêtes.
C’est à partir de la fin des années 50 que les structures nécessaires à une ville sont construites[5]: On peut citer quelques exemples : le stade Maurice Baquet, les terrains de sport à Renan, Berthe et aux Sablettes, création de l’Office municipal d’HLM, un centre de protection maternelle et infantile (PMI), création du premier jardin d’enfants municipal (1953) et de la première crèche municipale (1959). Les écoles vont suivre le développement démographique de la ville. Les grands groupes scolaires sortent de terre : Léo Lagrange- Emile Malsert- le lycée classique et moderne (1960 – Lycée Beaussier). Si l’enseignement technique a débuté au sein de l’école Martini en 1924, en 1971 la cité technique Paul Langevin est créée. Elle assure trois formations : l’enseignement technique industriel, l’enseignement professionnel, et le centre de formation d’apprentis. Elle connaît deux extensions en 1976 et 1979. En 1996, le lycée devient polyvalent.
La ville du XXe siècle prend forme avec, entre autres, l’élargissement de la route nationale 559 de La Seyne à Six-Fours, l’aménagement du carrefour de la Pyrotechnie, la percée de la rue Faidherbe, le boulevard de Stalingrad…
Si la population de La Seyne augmente, cette croissance s’explique aussi par l’arrivée de population en provenance des pays voisins (Italie, puis Afrique du Nord selon les périodes). Il s’agit de répondre aux besoins des chantiers et des industries de la région. En 1926, l’immigration italienne représente 35 % du personnel des Chantiers. Ce pourcentage va décroître du fait des naturalisations. Mais la population de La Seyne est aujourd’hui le résultat de plusieurs vagues migratoires qui ont très souvent un passé commun, celui des Chantiers.
Si l’activité industrielle a marqué la ville, on ne peut passer sous silence la seconde fonction de la ville, à savoir l’activité touristique qui risque de s’imposer comme dominante, avec les services, dans un avenir proche.
Le premier tourisme est aristocratique comme dans l’ensemble du littoral à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il s’installe à Tamaris sur les traces de Michel Pacha (1819-1907). Le quartier de Tamaris reçut la visite de George Sand et de Frédéric Chopin. On peut encore observer les traces de ces villas orientalistes sur les bords de la baie du Lazaret. Pour répondre aux exigences de cette population le casino est créé aux Sablettes.
Une seconde étape apparaît avec le tourisme des résidences secondaires qui s’ étend vers le Cap Sicié à l’Ouest et la presqu’île de Saint – Mandrier (détachée de La Seyne en 1950) à l’Est. Mais peu à peu les résidents permanents l’emportent dans ce qui est devenu une banlieue de Toulon, détachée de La Seyne après la Seconde Guerre mondiale. Les Sablettes étaient à l’origine un petit village de pêcheurs, reconstruit après la guerre sur les conseils de Fernand Pouillon, mais les ajouts successifs ont quelque peu dénaturé cette œuvre urbanistique.
Après la disparition de sa principale activité industrielle, La Seyne peut-elle renouer avec cette vocation touristique ?
Ce résumé, trop bref, de l’histoire seynoise peut être complété à partir des sites ou revues indiqués mais aussi en se promenant à travers la ville et son territoire, et en repérant monuments et noms de rue.
. Martine Guillon (Professeur d'Histoire - Géographie)
Sites internet
www.ina.fr/fresques/reperes-mediterraneens/Html/presentation.php
Livres et revues.
Michel Anselme et Robert Weisz, « Un système économique en mutation : l’exemple de La Seyne », Sud Information Economique, INSEE, n° 62, 2 ème trimestre 1985.
Jean Domenichino, Port de Bouc :une ville en Chantier, Edisud, 1989.
Regards sur l’Histoire de La Seyne sur Mer- Revue de l’Association pour l’Histoire et le Patrimoine seynois.
[1] Roland Caty, « A. BEHIC, biographie »in Industrie en Provence- mémoire – industrie-patrimoine en Provence, n°5.
[2] Lucien Gaillard, « Les messageries maritimes s’installent à La Ciotat »,in La Ciotat-Musée ciotaden, annuaire 1981 p. 9 à 13.
[3] Jean-Marie Guillon, « La Seyne sur mer », Résistance Var, n° 30 septembre 1998
[4] Jacques Garnier, « La crise de la construction navale dans l’économie et la société provençales » in Industries en Provence, n°6 novembre 2000.
[5] Entretien avec Marius Autran in Regards sur l’histoire de La Seyne, compte- rendu du colloque du 4 novembre 2000- Association pour l’histoire du patrimoine seynois.